La vengeance engendre la vengeance | Morgane & Mordred

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ertains individus avaient du mal à supporter le secret, ils les rongeaient, il les faisaient souffrir, ils y pensaient sans cesse, sans réussir à faire autrement, ils ressentaient des remords et des scrupules. Ce n'était pas le cas de Morgane, qui savait garder bonne conscience même quand la situation l'intimait pourtant d'avoir ne serait-ce qu'un semblant d'état d'âme. Pourtant, le secret dont Mordred était la plus parfaite incarnation lui était particulièrement difficile.

Et ce n'était pas pour rien... Ne parler à personne de lui, si ce n'est à Viviane, n'avait rien eu d'un exploit pour elle, mais si elle n'éprouvait pas de scrupules, elle ressentait en revanche de la frustration. Elle n'avait pas été mère pour Yvain, ne s'était sentie ni n'avait voulu l'être, mais elle l'avait été pour Mordred, dès l'instant où elle l'avait tenu dans ses bras, instant trop fugace devenu souvenir profondément déchirant. Alors forcément, elle ne demandait qu'à voir ce secret être révélé au grand jour, à la face du monde.

Mais il fallait que cela se fasse au bon endroit et au bon moment, dans les meilleures circonstances, celles qui garantiraient la victoire à Mordred et la défaite la plus définitive imaginable à Arthur. Sa satisfaction, ses ambitions, tout dépendait de cela. Et elle ressentait chez son fils utant d'impatience qu'elle n'en éprouvait elle-même. Lui non plus n'avait pas envie d'être éloigné d'elle, et ne serait-ce que parce qu'il y tenait à ce point, elle l'exaucerait.

-Je te le promets, sur tout ce que j'ai, lui assura-t-elle en plantant son regard dans le sien, et dans les prunelles la plus grande détermination.

Ce qu'elle possédait de plus cher, elle l'avait sous les yeux, cela dit, et elle ne s'en cachait pas, mais cela n'y changeait rien. Elle pouvait sans mal tenir cette promesse, puisqu'elle ne pouvait vouloir que les choses se passent autrement dans tous les cas. Il lui était essentiel, quoi qu'il en soit, de voir l'avenir se profiler aux côtés de son fils, sans quoi, combats, projets, décisions, ambitions, perdraient tout à coup tout leur sens. Et cela, eh bien, c'était tout simplement inenvisageable, et elle ne saurait le croire possible quoi qu'il en soit.

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e que Morgane pourrait faire de l'affection que lui portait Mordred, de la dépendance qu'il lui adressait déjà ! Avec n'importe qui d'autre, elle n'hésiterait pas un seul instant, elle s'amuserait de la naïveté de celui ou celle qui lui accorderait ainsi tant de considération et d'affection et le ménerait tout simplement à la baguette. Mais avec Mordred, il n'était pas question de cela. Bien sûr, il était voué à servir ses desseins à l'encontre d'Arthur, il avait même été conçu au nom de cette ambition.

Mais cela n'ôtait rien au fait qu'elle l'aimait, pas parce qu'il était sa chair et son sang (auquel cas il lui faudrait accorder plus d'intérêt à Yvain), non, mais parce que quelque chose d'indescriptible s'était scellé entre eux avant même qu'il ne vienne au monde, et à présent, elle ne demandait plus qu'à rendre à son fils l'affection que le sort (mais disons-le tout net, c'était le fait de son très cher demi-frère, surtout) l'avait empêchée de lui adresser jusqu'alors. Quand Mordred la remercia, elle se contenta de hocher la tête avec un fin sourire. Ce serait mentir, tout de même, que de prétendre ne pas savoir combien tout ceci comptait pour lui. Si sa démarche envers lui était sincère, elle n'en restait pas moins manipulatrice dans l'âme, et puisqu'elle savait assez précisément ce que son fils avait envie, besoin même, d'entendre, elle ne se privait bien sûr pas de lui accorder très précisément ce qu'il réclamait à mot couvert.

-Je vais devoir partir pour Gorre prochainement, les affaires m'appellent là-bas, je me dois de faire acte de présence. Elle marqua une légère pause. Tu as fort à faire à Camelot, et je ne voudrait freiner aucun de tes projets. De leurs projets serait plus exact. Mais si le coeur t'en dit, tu y seras le bienvenu pour quelques jours. Mon mari et Yvain seront absents, tu pourras t'y considérer comme chez toi.

Passer du temps ensemble loin de Camelot ne lui semblait pas être une mauvaise idée, certes, Mordred ne devait pas se reposer sur ses lauriers et il était important qu'il reste dans le sillage d'Arthur jusqu'au moment de le détrôner, mais quelques jours d'absence n'iraient pas déjouer des décennies de conspiration non plus.

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I

l était quelque part assez frustrant même si logique que de se dire que ce qui retenait Mordred à Camelot était précisément celui qui ne devait à tout prix plus faire partie de leurs vies respectives. Que Mordred demeure ici dans l'unique but de rester près de l'homme qui restait tout de même son père quand elle-même serait loin, incapable donc d'avoir un oeil sur la situation et de s'assurer que le tempérament présumément aimable de son frère ne lui volerait pas l'attention de leur fils et ne ferait pas varier ses plans. Car s'il est vrai que Morgane proposait à Mordred de venir à Gorre, c'était bel et bien pour rester proche de lui, elle caressait aussi l'espoir de le tenir à l'écart d'Arthur tant qu'elle n'était pas à proximité.

Malgré tout, il fallait ce qu'il fallait, il était important que Mordred se montre et se fasse un nom à Camelot... qu'Arthur soit présent ou non, d'ailleurs, car le jeune homme avait tout intérêt également à se rapprocher des personnes qui elles-mêmes étient proches du roi : qu'il s'agisse de la reine ou de certains chevaliers de la table ronde, ou même d'autres personnes à Camelot, d'auilleurs. Cela s'ancrait dans leurs projets. Certes, Morgane avait les deux pieds dans la cour de Camelot, ce qui arrangeait leurs affaires, mais elle comptait aussi sur son fils pour se faire son chemin et sa réputation de son côté... sans avoir aucune inquiétude au passage. Mordred était un jeune homme plein de ressources, le digne fils de sa mère, et Morgane savait qu'il trouverait mille et une occasions de le lui prouver.

-Même en l'absence du roi, ta présence à Camelot pourra être souhaitable.

Même s'il est vrai que compter sur ses absences était une bonne idée, surtout que ces absences étaient forcément nombreuses. Arthur devrait se contenter de rester sur son trône et de s'assurer que personne ne l'en déloge, mais à la place, il préférait traquer des dragons et courir après un vase... C'était son choix. Cela leur facilitait la tâche, de toute évidence, alors il n'était pas question de s'en plaindre.

-Mais je te préfère à mes côtés chaque fois que l'occasion te permet de l'être.

L'occasion, les circonstances, leurs plans respectifs... Tout.

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près dix-huit années d'éloignement, il aurait tout à fait été possible que Morgane, retrouvant Mordred, ne parvienne pas à obtenir l'affection qu'elle ressentait tant pour lui. L'amour maternel se justifie difficilement, et c'est quelque chose qui ne va pas de soi (la preuve quand on considérait le peu de cas qu'elle faisait de Mordred), l'amour filial non plus. Mais Morgane savait que l'homme ne lui mentait pas, et cela ne rendait ces moments que plus précieux, le lien qui les unissait était à ses yeux la preuve du destin unique, exceptionnel, qu'ils accompliraient ensemble, et elle ne reculerait devant rien afin d'obtenir gain de cause. Elle savait que lui non plus.

Elle appréciait entièrement le discours de Mordred. C'était précisément ce qu'elle attendait de lui : ne pas négliger son devoir, oui, mais surtout, surtout, ne pas la négliger elle, quoi qu'il advienne. Il en était de même pour elle. Elle accordait à sa vengeance une importance infinie, et Mordred l'incarnait complètement, il était né de cette soif de vengeance. Malgré tout, il était devenu tout aussi important que ce qui l'avait engendré au départ. Veiller à faire tomber Arthur, veiller sur Mordred, c'était la même chose, et les deux avaient tout autant d'importance.

-Tu es vraiment un jeune homme exceptionnel, Mordred, dit-elle dans un sourire attendri, maternel, comme nul autre que lui n'en connaîtrait jamais, tout en venant caresser sa joue du bout du doigt. J'aurais voulu y être davantage pour quelque chose, ajouta-t-elle alors doucement.

Et c'était vrai. L'on pourrait dire que la pomme ne tombait jamais très loin de l'arbre dans tous les cas, mais Morgane n'aimait pas envisager les choses sous cet angle. Car dans ce cas, il faudrait accepter l'idée que Mordred puisse tenir autant d'Arthur que d'elle-même. Il était préférable d'assumer que Mordre était finalement le fruit de son éducation, mais il s'agissait là d'une éducation qu'elle n'avait pas été en mesure de lui diselle-même. Certes, elle était là, maintenant, et elle lui apprendrait tout ce qu'elle pourrait lui apprendre, et elle tiendrait à rebours le rôle qu'elle aurait toujours dû tenir pour lui. Mais il n'en demeurait pas moins qu'elle éprouvait, pour la peine, une forme de frustration certaine, qu'elle était bien incapable de mettre en sourdine.

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organe sourit, apprécia le compliment de son fils quand ce dernier lui assura qu'elle était pour beaucoup dans ce qu'il était devenu. Elle avait envie de le croire sur parole, mais elle se contentait de croire non pas que c'était vrai, mais qu'il le pensait, ce qui était déjà en soi une pensée particulièrement agréable. Elle ne pouvait pas se donner le mérite de qui il était, de sa force de caractère qu'elle appréciait tant. Elle pourrait reconnaître, c'est vrai, que la pomme n'était pas tombée bien loin de l'abre, mais le problème, c'est que dans le cas de Mordred, il y avait un arbre bien particulier dont Mordred était évidemment le fruit également.

Consentir à admettre que le jeune homme lui devait beaucoup parce qu'ils étaient du même sang, ce serait permettre ce même genre de largesses à Arthur, et elle ne le voulait surtout pas. Il ne pouvait tout simplement pas en être question. Mordred était un jeune homme exceptionnel, et elle préférait mille fois reconnaître qu'il ne le devait qu'à lui-même que de suggérer qu'il puisse avoir quelque point commun que ce soit avec son géniteur. Elle espérait, c'était évident, que jamais son fils ne tiendrait le même discours au sujet d'Arthur. Si cela devait arriver, elle le vivrait particulièrement mal, c'est une certitude. Mais il n'était pas question d'Arthur, en l'occurrence, simplement d'elle, de lui, et du lien qu'ils parvenaient presque tout naturellement à renouer en dépit des épreuves, en dépit de tout ce qui avait voulu les séparer.

-Tu te trompes, répondit doucement Morgane. Tu t'es façonné seul, et tu dois le considérer comme une force, comme une fierté. Je ne pourrais être plus fière de toi que je le suis en cet instant.

Bien sûr, personne ne se façonnait jamais entièrement seul, mais c'était ce qu'elle se permettait de penser malgré tout. Mordred aurait été un jeune homme exceptionnel peu importe les circonstances, c'est une certitude, mais il était parvenu à l'être sans l'aide de personne, par ses simples moyens. Et il était à l'image même du jeune homme qu'elle avait espéré retrouver dès l'instant où elle avait compris qu'il était toujours en vie, à l'heure où elle ne pouvait rien faire d'autre sinon l'imaginer. Il avait dépassé la moindre de ses attentes, et de très loin, et elle voulait croire que ça continuerait d'être le cas quoi qu'il advienne.

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organe était une femme exigeante. Rentrer dans ses bonnes grâces relevait presque du miracle, et pourtant, Mordred y parvenait par sa seule existence. Mais son existence, il est vrai, tiendrait presque du miracle, en réalité. Cela dit, le jeune homme aurait pu être une déception pour elle, en réalité. Elle l'avait bien envisagé, d'ailleurs, ça avait été une de ses appréhensions, avant de le rencontrer, qu'il soit finalement un jeune homme sans intérêt, sans panache, sans ambition... ou pire encore, qu'il soit la réplique exacte de son père. Mais dès l'instant où elle l'avait vu, elle avait su qu'il n'en était rien, qu'il était avant tout et surtout sa chair et son sang.

Alors oui, bien évidemment, elle ne pouvait qu'être fier de lui, c'était quelque chose d'entièrement naturel pour elle. Il n'avait pas à faire grand-chose pour qu'elle reste fier de lui, il n'avait presque qu'à respirer. Bien sûr, le fait qu'il l'aide à accomplir ses desseins de vengeance ajoutait forcément à sa fierté, et s'il devait y faillir, ce serait une source de déception pour elle, mais elle n'envisageait pas, pas même un seul instant, que le jeune homme puisse ne pas faire ce qu'elle attendait de lui. Il était là pour elle, il restait là pour elle. Elle était convaincue que c'était dans l'ordre des choses, elle en avaitla profonde conviction. C'était quelque chose d'aussi évident que l'amour maternel qu'elle éprouvait instinctivement pour lui. Et donc de tout aussi certain et éternel.

Morgane se rapprocha de son fils, lui adressa un sourire bienveillant. Puis elle déposa un baiser sur son front, un geste de tendresse et d'affection comme elle en accordait à très peu de personne, une preuve de plus de ce lien privilégié qui les liait l'un à l'autre tous les deux.

-J'en suis absolument convaincue, confima Morgane avec un sourire.

Ce qui était le cas. A Mordred, elle ne mentait pas. A son adresse, elle faisait preuve de la plus totale sincérité. Elle ne ressentait aucun besoin de prétendre ou de mentir. Même si elle devait être un jour déçu, ce qu'elle n'espérait pas, elle ne passerait pas par quatre chemins, elle le lui dirait directement et sans détour, parce qu'il méritait ce que personne d'autre n'obtenait d'elle : sa confiance et son honnêteté.

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organe adressa un tendre sourire à son fils. Elle appréciait, bien sûr, sa gratitude, et elle n'aurait pas supporté qu'il n'en ressente aucune, mais malgré tout, elle estimait qu'il n'avait pas de réelle raison de le remercier. Tout ce qu'elle faisait pour lui, elle le faisait de façon naturelle, certaine, évidente. Morgane aimait son fils, c'était sans doute cela, qu'on appelait l'instinct maternel. Ca vous prenait au coeur, aux tripes, et ça ne vous quittait plus, au point que Morgane savait pertinemment, à ce jour, qu'il n'y avait rien, absolument rien en ce bas monde qu'elle ne serait capable de faire pour lui.

Il avait été le fruit d'une machination méticuleuse, mais tout ce qui devait suivre, elle ne l'avait pas anticipée. Elle ne pensait pas s'attacher plus à Mordred qu'elle ne s'était attachée à Yvain, elle l'avait pensé comme un pur objet de vengeance. Et pourtant, dès l'instant où Morgane avait senti sa progéniture grandir dans son ventre, elle avait su que tout serait différent. C'était elle, qui était reconnaissante envers ce fils, pour lui avait permis de découvrir les joies d'un amour maternel dont elle s'était pourtant cru incapable. Et même, l'amour, tout simplement, puisqu'elle n'en éprouvait que pour son fils, pour lui et absolument personne d'autre. Morgane caressa la joue de son fils du bout des doigts.

-Tu me remercieras lorsque la couronne qui te revient ornera ta tête, pas avant, dit-elle alors simplement.

Quand il aurait accompli tous les desseins qu'elle ourdissait pour elle-même à l'origine, certes, mais pour lui surtout, puisqu'il était, résolument et définitivement, son objectif, tout aussi puissant que ne l'était sa haine envers Arthur.

-Il va me falloir retourner à mes obligations, constata-t-elle à regrets. Ele n'avait pas la moindre envie de s'éloigner de son fils, mais ils ne pouvaient se permettre malgré tout que de passer un temps limité ensemble, s'ils voulaient éviter d'éveiller les soupçons sur eux, ce qui pourrait bien trop vite advenir, en réalité. Nous nous reverrons très vite, je t'en fais la promesse.

Une promesse simple à tenir, car Morgane ne pouvait tout simplement pas se résoudre à rester éloigné de son fils trop longtemps. Ce n'était plus quelque chose de concevable, à présent.

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