Quand on n'a pas d'âme, comment comprendre la nécessité d'avoir une soeur [pv Morgause]

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organe hocha la tête, un fin sourire aux lèvres, quand sa soeur lui assura qu'elle pouvait compter sur sa discrétion. Morgane appréciait de l'entendre, et elle avait besoin de pouvoir s'assurer que Morgause garderait le secret, mais elle n'avait pas réellement douté d'elle. Même si leurs liens s'étaient distandus, par la force des choses, et surtout parce que Morgane avait fait à sa soeur des reproches que cette dernière n'avait pu qu'encaisser sans comprendre, elle savait malgré tout que leur amitié fraternelle restait forte. Et Morgause gardait le sens de la famille, dans tous les cas, c'était même une de ses qualités majeures. Certes, Arthur aussi était de sa famille, mais Morgane voulait croire que sa soeur la ferait passer en priorité quoi qu'il en soit, et c'était ce qui importait à ses yeux.

Bref, Morgause savait, ou du moins elle savait ce que sa soeur avait bien voulu lui dire, et la fée était convaincue qu'elle ne cracherait pas le morceau... Encore que la révélation de cette information incomplète porterait nettement plus de préjudice au roi qu'à elle-même. D'autant que ce ne serait certanement pas lui qui comblerait les trous dans cette histoire. Il n'était absolument pas fier de ce qui s'était passé entre eux, il en avait honte, et c'était une chose que la jeune femme savait pertinemment.

-Tu ne devrais pas me remercier, répondit simplement Morgane avec dans la voix une sorte d'humilité qui lui ressemblait, à dire vrai, très peu, mais qu'elle pouvait bien se permettre d'arbrer pour l'occasion. Elle venait de bâtir un pont entre elle et Morgause. Cela méritait bien qu'elle mette ne serait-ce qu'un peu de son orgueil de côté pour la peine. J'aurais dû te parler il y a bien longtemps, mais à présent, c'est chose faite. Je me sens soulagée d'un poids qui pesait sur ma conscience depuis beaucoup trop longtemps.

Et si elle exagérait largement ses propos jusqu'ici,ces derniers étaient entièrement vrais. Oui, elle se sentait à présent plus légère, et surtout, au-delà de renouer davantage avec sa soeur, elle avait le sentiment qu'elles pourraient peut-être enfin faire front commun ensemble contre Arthur, et rien ne pourrait la réjouir davantage que cette perspective.

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i Morgane avait des intérêts précis à rallier sa soeur de son côté, et que ses intérêts concernaient toujours la vengeance qu'elle comptait bien assouvir à l'encontre de son frère, elle devait bien reconnaître que leur réconciliation réussirait presque à réchauffer un coeur qui ne battait presque pour personne. Oui, cette complicité qu'elles n'avaient jamais eu l'occasion d'avoir, toutes les deux, Morgane était heureuse d'en sentir une sorte d'expression, ici et maintenant. Et c'était un fait, particulier mais bien réel, que la savoir de son côté lui communiquait une force singulière et nouvelle.

Comme quoi, qu'on le veuille ou non, le sang, selon elle, jouait dans notre appréhension des contacts humains. Si Morgause n'avait pas été sa soeur, elle était assez convaincue qu'elle n'aurait eu que faire de cet instant, si Mordred n'avait pas été la chair de sa chair, elle n'aurait jamais été capable de l'aimait comme elle l'aimait, et si Arthur n'avait pas été son frère, elle aurait bien sûr été incapable de le haïr comme elle le haïssait. Certes, l'on pouvait lui faire remarquer en ce cas que son absence totale de gentillesse et de tendresse maternelle envers Yvain détrompait totalement cette possibilité. Mais Yvain était sans doute l'exception qui confirmait la règle. Il était de toute façon bien plus le fils de son père qu'il ne l'était de sa mère. Alors que dans le cas de Mordred, c'était tout l'inverse.

-Merci beaucoup, répondit Morgane dans un fin sourire. Elle laissa passer un temps de silence avant de reprendre la parole. Dis-moi comment tu vas ? Comment ça se passe, pour toi ?

C'est qu'avec tout ça, elle n'avait même pas prétendu s'intéresser à la vie de Morgause, et il était temps pour elle de se rattraper. Est-ce qu'elle trouvait davantage d'intérêt à sa vie, à son époux, à ses enfants... En toute honnêteté, pas vraiment. Mais prétendre s'intéresser serait sans doute une digne et méritée récompense à adresser à celle qui avait accepter de l'écouter et de la soutenir. Elle n'avait pas attendu autant de sa part. Elle pouvait bien se permettre de l'écouter en retour. C'était même la moindre des choses, en réalité, du moins selon ses critères bien particuliers.

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orgause semblait bien se porter, effectivement. En même temps, Morgane avait le sentiment que sa soeur allait toujours bien, de ce qu'elle en savait (mais il se pouvais qu'elle cache seulement et constamment son véritable ressenti, elle n'en serait pas forcément surprise). En règle générale, si elle devait avoir quelque problème que ce soit, c'était bien souvent parce que sa soeur se retrouvait impliquée ou bien décidait de l'accabler de reproches. Ce qui ne se reproduirait plus, du moins si les choses demeuraient telles quelles.

La seule ombre qu'elle voyait au tableau, c'était l'absence de ses fils. Ce n'était pas la première fois que Morgause se plaignait de ne pas pouvoir les voir assez. Pendant longtemps, Morgane s'en était exaspérée, car elle ne voyait vraiment pas pourquoi elle se lamentait après ses gamins, qui en plus du reste avaient eu la mauvaise idée de prêter allégeance à Arthur. Maintenant, c'était différence. Certes, elle ne s'était toujours pas découverte une affection venue de nulle part pour son fils. Mais en revanche, elle savait maintenant ce que c'était que l'amour maternel, le vrai. Chaque fois qu'elle se trouvait loin de Mordred, elle le ressentait, et c'était terriblement éprouvant. Donc oui, quelque part, elle était capable de se mettre effectivement à la place de Morgause. Mais pas au point malgré tout de s'attarder trop longuement sur la question.

Car tout comme Morgane n'avait que faire de son fils légitime, elle ne nourrissait aucune affection pour ses neveux. A ses yeux, ils étaient des poids morts, qui n'auraient d'utilité que s'ils choisissaient de se retourner contre leur roi. Et elle avait un peu renoncé à l'idée que cela arrive un jour. Tout comme elle n'avait pas forcément l'intention de s'attarder sur leur sujet. Ils ne l'intéressaient pas, tout simplement. Alors, au lieu de vraiment faire un commentaire, elle se contenta d'afficher un sourire de circonstance, ce qui de sa part était déjà beaucoup.

-Et avec ton époux, tout se passe bien ? demanda-t-elle alors. Elle avait constaté que Morgause n'avait pas parlé de lui, et elle se demandait s'il y avait anguille sous roche ou si elle estimait simplement qu'il n'y avait rien à dire, ce qui pourrait bien être compréhensible. Pour sa part, Morgane ne lui trouvait guère d'intérêt, mais ça, c'est autre chose.

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organe s'interrogeait sur la relation entre Morgause et son époux, sincèrement. Dans leur société faite de mariages arrangés, les couples heureux étaient bien souvent adultère. Elle n'avait jamais vraiment pris la peine de se soucier du mariage de Morgause. C'était un de ces arrangements dont elle se souciait avec autant d'indifférence que son propre mariage. Mais Morgause ne se plaignait pas. De ce point de vue, elles ne pourraient sans doute pas être plus différentes l'une de l'autre, en vérité. Morgane était d'un naturel à se plaindre, cela n'aurait échappé à personne.

Ceci dit, c'était, à ses yeux toujours légitime. Elle estimait qu'il y avait dans la possibilité de s'offusquer une force certaine, celle d'affirmer ses opinions quoi qu'il arrive. Et elle aimerait trouver cette même aptitude à s'insurger chez sa soeur. Enfin... si elle se tournait contre Arthur plutôt que contre son mari, cela l'arrangeait bien aussi. Morgane n'avait rien contre le roi Lot. Il lui inspirait une saine indifférence, à vrai dire (et c'était plutôt une chance et un avantage de susciter l'indifférence ou le mépris de Morgane plutôt que sa haine ou son intérêt. Cela vous donnait quelque chance de vivre plus longtemps - et également plus sereinement).

Mais s'il traitait convenablement Morgause, alors il y avait un rôle qu'il remplissait bien, et c'était toujours cela. Pour le fait de lui avoir par ailleurs donné deux enfants qui faisaient sa fierté... pour s'en soucier, encore faudrait-il que Morgane se soucie de ses neveux. Et ils ne lui inspiraient pas plus d'affection ou d'émotion que son propre fils. Quelque part, c'était naturel, mais en tous les cas, ce n'était définitivement pas flatteur.

-Si tu n'as pas à te plaindre, alors tant mieux. Morgane afficha un sourire sincère dont Morgause était l'une des rares à pouvoir bénéficier. Mais si jamais il devait te poser problème, n'importe lequel, n'hésite pas à m'en informer.

Elle pourrait agir en conséquence. Oh, Morgause lui répondrait sans doute que cela n'avait aucune chance d'arriver, surtout après tant d'années de mariage, mais aux yeux de Morgane, les hommes étaient tous les mêmes, sans la moindre exception. Ils exprimaient leur nature profonde avec plus ou moins de transparence. Mais ils étaient tous ainsi.

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organe ne savait pas si elle devait prendre au sérieux ou nom la promesse de sa soeur, mais elle décidait de croire qu'elle disait franchement ce qu'elle pensait. Le roi Lot voudrait sans doute que ce ne soit que des paroles en l'air, car si le moindre mal devait arriver à Morgause, la vengeance de Morgane serait terrible, mais en attendant, elle voulait croire que cette conversation avait dénoué quelque chose, et ravivé une confiance et une affection mutuelles qu'elle pensait perdues depuis bien longtemps. Morgause lui donnait sa parole, et Morgane comptait bien la lui rappeler en temps et en heure si cela devait finir par être nécessaire.

En attendant, donc, Morgause semblait vivre un mariage épanoui, ou autant qu'un mariage arrangé pouvait l'être, chose que Morgane n'avait jamais connu... et ne cherchait certainement pas à connaître non plus. Raison pour laquelle elle fut honnêtement surprise en entendant la question que lui retourna son interlocutrice, même si cette dernière ne tarda pas à l'expliciter. Morgane était, à vrai dire, surprise. Parce que si Morgause avait vent de ses relations extraconjugales, ou tout du moins du fait qu'elle en avait, Morgane n'avait jamais eu le sentiment qu'elle ait approuvé son adultère, quand bien même Urien ne se privait pas non plus d'être infidèle de son côté.

Bien sûr, avec Urien, ce n'était toujours pas le grand amour, loin s'en faut. En même temps, il faudrait définitivement qu'on lui ait lancé un sort pour qu'elle éprouve de l'amour pour lui. Ceci dit, il n'y avait pas de quoi en faire toute une histoire, loin de là. Morgane n'aimait personne ou presque. Elle n'aimait pas son mari, elle n'aimait pas leur fils. Elle n'aimait que Mordred, et Morgause. Et ça s'arrêtait là, bien évidemment.

-Oh non, sans façon. Je n'ai rencontré personne, et je n'y tiens pas le moins du monde. Je saurais très bien me passer de la compagnie de n'importe quel homme.

Exception faite de Mordred, mais ce n'était évidemment pas la même chose. Oui, elle avait des amants, régulièrement. Mais ce qu'elle recherchait avec eux était toujours très clair. Et si l'un d'entre eux devait trop longtemps s'épancher sur des sentiments qu'elle ne partageait jamais, elle ne tardait pas à mettre fin à leur relation.

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ossible que Morgause soit au moins en partie soulagée d'entendre que Morgane n'était tombée sous le charme d'aucun de ses amants... Être adultère était une chose, nourrir des sentiments plus profonds qu'un pur appétit sexuel pour l'un de ses prétendants en était une autre, très différente (et bien plus amusante quand elle arrivait aux autres - sans vouloir viser personne, bien entendu). Et pour Morgause, qui attachait tout de même au mariage et aux voeux que l'on y formulait, qu'importe que les noces aient été arrangées ou non, cela devait avoir une importance. Ce qu'elle lui confirma indirectement en évoquant son mari et son fils, que Morgane prenait soin, et sans scrupule, d'exclure d'une conversation au sein de laquelle ils devraient techniquement tenir une place de choix - avec d'autant plus de plaisir d'ailleurs qu'ils devraient normalement y tenir une place qu'elle ne leur accordait pas le moins du monde.

Elle haussa les épaules à la remarque de sa soeur. Elle ne voulait pas s'engager dans un débat sans fin à ce sujet, et elle n'avait tout simplement pas de scrupules à se comporter ainsi qu'elle le faisait avec Urien et Yvain. Le premier ne parlerait pas d'elle en des termes différents dans tous les cas, et le second était... une cause désespérée à laquelle Morgane n'avait pas la moindre envie d'accorder son temps et son attention. Tous deux savaient très bien à quoi s'en tenir avec elle (même s'il était bien possible qu'Yvain espère toujours), alors elle ne pensait pas franchement leur devoir quoi que ce soit. Et s'ils devaient entendre cette conversation, ça ne les surprendrait pas le moins du monde et les blesserait sans doute à peine, en fin de compte.

-Ils s'en remettront. Je veux même croire qu'ils s'en sont remis de longue date. Crois-moi, il n'y a rien que je puisse dire ou faire à Urien qui soit réellement susceptible de l'affecter - j'ai même envie de dire que c'est sa plus grande qualité. Quant à Yvain... Si au moins cela pouvait avoir le mérite de lui forger le caractère... Elle marqua une pause. Si je ne l'avais pas porté pendant neuf mois, je pourrais douter du fait qu'il soit ma chair et mon sang.

Chose qu'elle pensait vraiment. Et c'était encore plus frappant quand elle le comparait à Mordred. En un regard, elle le reconnaissait comme son fils et l'aimait profondément comme tel, inexplicablement - le fameux instinct maternel. Avec Yvain, il ne se passait rin.

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ui oui, Morgane le savait, ce n'était pas faute de se l'entendre répéter de la part de tous ceux qui faisaient partie de l'entourage d'Yvain et qui s'imaginaient sans doute qu'elle en aurait quoi que ce soit à faire : le jeune chevalier cherchait désespérément son approbation, l'amour de sa mère. Mais ce n'était pas parce qu'il devait courir après toute sa vie qu'il l'obtiendrait pour autant (elle était son Graal, en somme). Il ne manquerait plus que l'on doive faire des concessions sur ses propres émotions pour satisfaire celles des autres...

Morgane se fichait bien des efforts et des exploits de son fils, ils n'avaient aucune importance, et si Yvain avait un soupçon de jugeote, il arrêterait d'attendre après elle constamment. Il n'avait plus quatre ans ! (Et même quand il les avait, ça ne l'empêchait pas de laisser sa nourrice s'occuper de lui constamment sans lui prêter - ou à peine - un seul regard). Ce n'était même pas qu'elle n'aimait pas son fils, ce serait sans doute déjà lui faire un semblant d'honneur qu'il n'obtenait jamais de sa part. Non, il ne l'intéressait pas, un point c'est tout.

-Il ne m'intéresse pas, je n'ai aucune intention de prétendre le contraire pour lui plaire ou satisfaire son entourage. Elle marqua une pause. Je ne lui reproche rien... pas vraiment.

Non, elle lui faisait parfois des reproches, parce que c'était facile, mais elle savait qu'Yvain était un garçon intelligent et courageux, un bon chevalier... mais qu'est-ce qu'elle en avait à faire, elle, que son fils soit un bon chevalier ? Elle s'en moquait totalement, elle n'avait jamais eu de telles attentes envers lui. Elle n'en avait pas, tout simplement, envers lui. Il pouvait réussir, il pouvait échouer, ça lui était égal. Son reproche, c'était sa naissance.

Elle n'avait pas voulu de cet enfant, et si elle avait découvert l'existence d'un puissant instinct maternel en elle à la naissance de Mordred, il n'en avait pas été de même quand Yvain était né. Elle en avait accouché dans l'indifférence la plus totale. Exception faite bien sûr de l'accouchement lui-même, qui avait été particulièrement douloureux et ne devait pas spécialement forcer le moindre sentiment positif chez Morgane. Elle ne l'aimait pas, il ne lui inspirait rien, elle ne voulait pas se forcer sous le prétexte que c'était la chose à faire.

-Je n'ai pas de rancoeur ni de haine envers Yvain, son sort m'indiffère, voilà tout. Prends-le pour indigne et cruel, ce n'est jamais que la vérité, et je te l'ai promise.

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organe n'avait aucune intention de disserter sur les raisons qui faisaient qu'elle n'avait pas d'affection particulière pour son fils et qu'elle le considérait avec la plus totale et souveraine indifférence. S'il fallait qu'elle se trouve des raisons, elle serait dans l'obligation de les inventer, et elle avait assuré à sa soeur qu'elle ne lui mentirait pas - dans la mesure du possible - aussi ne le ferait-elle pas.

Elle n'avait pas de raisons particulières de détester Yvain, ou plutôt de n'en avoir cure. C'était juste... comme ça, elle ne l'avait pas spécialement décidé. Elle avait vu cet enfant quitter ces entrailles avec aucune autre émotion que la douleur de l'accouchement. Elle se fichait qu'il soit son héritier, par ailleurs, car elle se moquait de l'héritage qu'elle avait à lui offrir. Son héritage, celui qui lui importait vraiment, était celui qui lui venait de sa mère, pas le territoire de Gorre et tout ce qui concernait son époux, qui lui aussi ne recueillait qu'un millième de sa considération. Donc non, pas de belles excuses, juste la stricte vérité : vous pouviez bel et bien porter un enfant dans votre ventre neuf mois durant et demeurer dans l'impassibilité la plus complète, c'était ce qu'elle avait vécu. C'était une affaire d'émotions, sans doute, quelque chose qui ne se contrôlait pas vraiment puisque cela avait trait à l'affect.

Elle n'avait pas plus planifié d'être à ce point indifférente à Yvain qu'elle n'avait planifié d'adorer à ce point Mordred. Certes, il y avait dans l'amour qu'elle portait à ce dernier beaucoup de son ambition : il était celui qui la mènerait où ses projets de vengeance la poussaient à se rendre. Mais il y avait autre chose également. La tendresse qu'elle lui portait était instinctive, naturelle. C'était sans doute la même chose que Morgause ressentait pour ses propres enfants. Morgane ne saurait vraiment dire comment cela lui était venu. Parce que ça ne se décidait pas.

-Je l'ignore, c'est ainsi. Toi-même doit savoir que c'est une chose qui ne se décide pas. C'est ou ce n'est pas. Et dans mon cas, eh bien... Je ne sais pas, ce n'est pas le cas, c'est tout. Il est de moi, mais c'est comme si je ne l'avais pas mis au monde.

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organe s'autorisait à être sincère envers sa soeur, comme elle l'avait rarement été jusqu'alors, en tout cas certainement pas à ce point. Certes, elle était loin de tout lui avoir appris de son histoire et de sa situation, elle avait plus que pris soin de dissimuler les détails qui l'arrangeaient, mais en attendant, oui, elle avait fait le choix d'être honnête. Et dans cette optique, elle ne pouvait que s'exprimer franchement au sujet de ce qu'Yvain lui inspirait, autrement dit pas grand-chose.

Elle se doutait que Morgause préférerait entendre sa soeur lui affirmait qu'elle tenait à son fils, mais qu'elle avait juste beaucoup de mal à l'exprimer, comme c'était le cas pour Urien, mais elle ne mentirait pas. Morgause devait accepter cette vérité, cette vérité qui ne dépendait même pas vraiment d'elle. Elle n'avait pas réellement choisi de n'avoir aucune affection pour son fils. Elle aurait pu le prétendre, elle savait précisément ce qu'on attendrait d'elle et quel discours serait le plus conventionnel, mais non, elle ne ferait définitivement pas cet effort. Plus maintenant, tant pis si Morgause devait s'en sentir déçue. A ce stade, cela ne devrait pas réellement la surprendre. Morgane n'avait jamais vraiment fait l'effort de prétendre avoir de l'affection pour sa progéniture. Et si d'autres s'autorisaient à se montrer moins hypocrites, on découvrirait que le nombre de parents ingrats était bien plus conséquent qu'il n'y paraissait.

-Tu te trompes, répondit très posément Morgane quand sa soeur affirma que rien ne lui importait jamais si ce n'est sa vengeance.

Son discours n'était pas très crédible, sans doute, pourtant, elle le pensait vraiment. Oui, ses plans de vengeance tenaient une place prioritaire dans son esprit, mais ils ne lui venaient pas de nulle part. Tenir tant à sa vengeance, c'était tenir à Mordred, qui ne devait sa survie qu'à la chance et au hasard, c'était tenir à sa mère, qui méritait d'être vengée, et c'était, qu'elle le croie ou non, tenir à Morgause, car cette vengeance, c'était pour elle aussi qu'elle tenait à l'exécuter. Pour l'honneur d'une famille que ce demi-frère de malheur avait brisé sans vergogne et sans le moindre scrupule.

-Ma vengeance compte immensément pour moi, mais elle n'est pas tout ce qui importe. Le fils qu'Arthur m'a volé compte pour moi. Tu comptes pour moi. Elle marqua une pause. Je sais que tu aurais préféré un discours hypocrite de ma part, mais je t'ai promis d'être sincère, dorénavant. Et, sincèrement, je ne peux pas prétendre avoir le moindre sentiment pour un enfant qui ne m'en inspire aucun.

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organe pouvait, contre vents et marées, s'obstiner dans l'horreur et la violence, sans l'ombre du moindre scrupule, parce qu'elle aurait décidé que c'était ce qu'elle devait faire. Elle pouvait, avec un aplomb remarquable, décidait qu'elle n'en avait rien à faire et qu'elle agissait comme bon lui semblait, et que son opinion était la seule qui comptait, sauf que dans les faits, les choses fonctionnaient rarement de cette manière. La plupart du temps, il fallait insister, encore et encore, jusqu'à obtenir gain de cause, et dans le processus, ne souffraient pas que ceux que l'on avait l'intention de voir souffrir.

Morgane était forte de ses opinions et de ses décisions, et personne ne l'en feraient changer, mais certains, en revanche, pouvaient la faire douter, sans même se rendre compte que c'était ce qu'ils faisaient au demeurant. Morgause, par exemple, ne réalisait peut-être pas l'influence qu'elle avait sur sa soeur, pourtant, elle en avait une. Pas au point, certes, de la détourner d'un chemin sur lequel elle était engagée de trop longue date, mais suffisamment pour la faire se remettre dans des circonstances où beaucoup trouveraient cette seule perspective assez miraculeuse quand on la connaissait un tant soit peu.

-Merci, je fais en effet comme je veux et comme je peux, dit-elle en constatant donc que ce qu'elle obtiendrait de Morgause n'était pas une pleine et entière approbation, mais pas non plus qu'elle lui tourne complètement dans le dos.

L'un dans l'autre, ce n'était pas si mal, et elle ne s'attendait pas forcément à ce qu'il en soit ainsi. Morgause d'Orcanie aurait pu lui mener la vie bien plus dure après ce qu'elle venait d'entendre de sa part, mais ce n'était pas le cas, et donc Morgane devait accepter sa victoire, même si elle était incomplète, et que toute victoire incomplète était forcément et naturellement très frustrante, il ne pouvait en être autrement, bien sûr.

-Je ne vais pas prendre davantage de ton temps, ma très chère soeur. Mais je te remercie de m'avoir écoutée. Tu ne saurais imaginer à quel point cela compte pour moi, affirma-t-elle d'un ton qui transpirait la sincérité la plus pure.

Car oui, en cet instant, elle était ce qu'il y a de plus sincère.

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