Un neveu est le plus beau cadeau qu’une soeur puisse vous faire | Yvain & Morgause

Yvain n'était de passage que pour un court moment à Camelot. Il avait assisté à une réunion de la table ronde la veille, et il repartirait sur les routes le lendemain afin d'explorer une nouvelle piste qui concernait le Graal. Un voyage qu'il espérait plus fructueux que les précédents.. Même si ses expéditions n'étaient pas toujours totalement vaines, il apprécierait qu'elles lui apportent, pour une fois, une satisfaction plus certaine. Pas tant pour récolter la gloire pour lui-même que dans l'espoir de faire la fierté de ses parents.

Mais, à l'heure actuelle, Yvain se trouvait donc toujours au château. Et il comptait en profiter tant que c'était le cas. D'autant que, cette fois, il aurait l'occasion de passer du temps en compagnie de Morgause.

Morgause était la soeur de Morgane, et pourtant, si l'on faisait abstraction de leurs ressemblances physiques, elles ne pourraient davantage être différentes. L'attention et l'affection qu'Yvain n'avait jamais été capable de trouver chez sa propre mère, il parvenait à en obtenir bien davantage auprès de sa tante.

Alors, pour cette raison, le jeune homme avait accepté avec grand plaisir de la voir un peu et de pouvoir parler quelques instants avec elle. Il n'était pas sûr d'avoir grand-chose à lui dire pour sa part... mais c'était un grand problème de sa part, il était juste incapable de s'estimer à la hauteur des autres, même quand ils n'attendaient rien, en réalité. C'était plus fort que lui, une absence totale de confiance en lui sur lequel il avait toutes les peines du monde à travailler en dépit de ses efforts.

« Bonjour, tu as beau être un homme à présent, ça me fait tout de même toujours un choc de le constater. Je me souviens si bien de l’époque où tu étais encore un enfant. »

Yvain afficha un fin sourire. Il l'entendait souvent de sa part, en effet. Il se doutait que, aux yeux de sa tante, il ne cesserait jamais d'être un enfant. C'était sans doute comme ça que réagissait tous les adultes qui voyaient des enfants de leur entourage grandir.

"J'ose espérer que je ne suis plus exactement le même qu'à cette époque", lui répondit-il dans un fin sourire. "Je suis heureux de vous voir, ma tante, vous non plus vous n'avez pas changé, toujours aussi radieuse."

« Je te remercie. Oh ne t’en fais pas, tu es bel et bien devenu un homme. Et avec de nombreuses qualités honorables en plus de cela.  »

Yvain afficha un sourire empreint d'humilité. Le jeune homme ne savait jamais trop comment gérer les compliments qu'on lui faisait... à ce titre, il pouvait peut-être se féliciter de ne pas en recevoir tant que ça.. mais ce dernier fait expliquait sans doute le premier.

En tout cas, il ne savait pas si sa tante pensait vraiment qu'en mûrissant, il avait gagné en honorables qualités (même s'il faisait tout pour - seulement, son complexe d'infériorité était comme un boulet attaché à son pied, et il avait le sentiment que rien ne suffisait jamais, absolument rien), mais c'était un propos qu'il appréciait, et qu'il allait choisir d'accepter comme tel sans le remettre en question. Il n'avait aucune envie de se plaindre, de toute manière, il voulait surtout passer un bon moment en compagnie de sa tante, qu'il n'avait pas si souvent l'occasion de voir.

« Mais dis-moi donc comment tu vas, et ce qu’il y a de nouveau pour toi. »

Depuis le temps qu'ils ne s'étaient pas vus, ils devaient avoir normalement beaucoup de choses à se dire, mais à vrai dire, le jeune homme ne savait pas vraiment ce qu'il pourrait raconter à sa tante.

S'épancher sur l'une de ses quelques quêtes victorieuses ? Son ego l'en remercierait, mais Yvain n'avait jamais su pavoiser. Pour le reste, qu'était-il sinon un chevalier de la table ronde comme les autres... peut-être moins bien que certains autres. Alors du nouveau, pas vraiment...

"J'ai bien peur de vous décevoir, ma tante, je n'ai pas grand-chose à vous dire. Je consacre mon temps et mon énergie à être le meilleur chevalier que je puisse être." Et ce n'était jamais assez, bien sûr. 

Et c'était tout. Bien sûr, il pourrait s'épancher sur sa vie sentimentale, mais qu'en dire ? Il ne se voyait pas parler de Laudine à sa tante. En vérité, le nombre de personnes au courant de l'épisode de la fontaine était très restreint, et ce n'était pas pour rien. Pourquoi s'épancher sur un sujet qui lui détruisait le coeur si la conclusion devait ne jamais en être heureuse ?

Mais peut-être était-il trop catégorique sur la question.

« C’est déjà quelque chose. Ta cause est noble, et je ne doute pas que le roi est plus que satisfait de ton engagement. »

Sa cause était noble, c'était une certitude, et Yvain en était très fier. Depuis le jour où il avait été accepté à la table ronde, il avait senti peser sur lui le poids d'une responsabilité immense, mais dans le même temps, il s'était senti particulièrement fier, ce qui était loin de lui arriver très souvent... Quiconque connaissait Yvain de Gorre, ne serait-ce qu'un tant soit peu, savait également que le jeune homme manquait plus que cruellement de confiance en lui.

Et c'était pour prouver qu'il n'avait pas démérité sa place, entre autres, qu'il mettait tant de coeur à l'ouvrage. Et il aimait à penser que le roi, en effet, était heureux de son engagement et de sa dévotion envers la cause... Il le lui avait déjà dit. Mais en même temps, Yvain n'avait pas le sentiment d'avoir encore agi de façon assez significative pour Arthur... En vérité, tant qu'il n'aurait pas contribué très activement à retrouver le Graal, il était très possible qu'il ne serait jamais totalement satisfait.

« Mais il ne faut pas que tu ne penses qu’à cela non plus. »

Vraiment ? Sans doute... mais Yvain avait du mal à penser de cette façon, en ce qui le concernait. Yvain avait plutôt tendance à considérer que toute pensée qui n'était pas orientée vers les voeux qu'il avait prononcés au moment de son adoubement étaient comme une trahison. C'est ainsi, à chaque fois qu'il acceptait de se focaliser sur autre chose... il s'en voulait.

Il dépendait beaucoup trop de l'attention d'autrui, et de l'estime qu'il pourrait gagner dans leurs esprits, parce qu'il avait à l'esprit qu'en vérité, personne, absolument personne, ne l'estimait réellement.

« N’y a-t-il donc aucune jeune demoiselle qui ne trouve grâce à tes yeux ? »

Ah, c'était donc là qu'elle voulait en venir... Yvain aurait dû le sentir, en vérité. Il baissa les yeux. Il évitait autant que possible d'évoquer sa vie sentimentale. Mais il avait confiance en sa tante, et surtout, il n'avait pas grand-monde avec qui il pouvait parler honnêtement de Laudine et de ce qu'il ressentait pour elle.

"Il y a bien quelqu'un", admit-il donc. "Mais c'est... disons que c'est compliqué."

Parce qu'il rendait tout compliqué.

« Dans quelle mesure est-ce compliqué ? »

Yvain poussa un léger soupir. Il savait à peine par où commencer, à vrai dire. Il fallait sans doute remonter au tout début, à sa rencontre particulière avec Laudine, pour que celle-ci fasse sens. Et au-delà de ce qu'il estimait compliqué à expliquer, il était également assez embarrassé à la perspective de parler de tout cela à sa tante. 

Certes, cela lui ferait du bien de se confier, et il savait que Morgause était la bonne interlocutrice pour cela, mais ça n'y changeait pas grand-chose, Yvain avait appris de longue date à mettre le moins de mots possible sur ses émotions... ce n'était pas l'envie qui lui en manquait, surtout qu'il avait une sensibilité à fleur de peau, mais les remontrances constantes de ses parents à ce sujet avaient très clairmenet eu raison de cette exposition trop frontale à ses émotions, qui pour la peine pouvaient avoir tendance à exploser de la moins bonne des façons, dans les moins acceptables des circonstances.

"Elle se nomme Laudine de Landuc, et elle était l'épouse d'Esclador le Roux. L'homme que j'ai tué pour défendre l'honneur de Calogrenant."

Un événement dont Morgause avait dû entendre parler, non seulement parce que l'épisode de la fontaine était un des faits d'arme les plus connus d'Yvain, mais aussi parce que Calogrenant était également son neveu. Calogrenant qui lui en voulait toujours, d'ailleurs... Même si parfois, Yvain se disait qu'il aurait cent fois préféré que ce soit Calogrenant qui ait raison de cet homme... quoique... dans ce cas, aurait-il seulement fait la rencontre de Laudine ? Sans doute pas. Il avait sûrement le coeur trop tendre, mais ce fait d'arme lui laissait toujours un goût amer. On ne pouvait être chevalier sans regarder la mort en face et accepter de la donner quand cela était nécessaire, mais l'exercice demeurait éprouvant pour lui.

"Je l'aime, et je crois bien qu'elle m'aime aussi, mais j'ai fait d'elle une veuve, et cela..."

Cela était la raison la plus simple à invoquer pour justifier sa distance... Mais ce n'était pas la seule. Laudine incarnait la perfection à ses yeux, et lui avait peine à ne serait-ce que de se hisser à sa cheville. Pourtant, c'était vrai, qu'il l'aimait. Comme il n'avait jamais aimé personne, ni ne voudrait jamais plus aimer qui que ce soit qui ne soit pas elle.

« Je comprends ton désarroi mon neveu. Mais n’oublie jamais que l’amour est la plus belle chose que l’on peut donner, et recevoir. »

Ce pouvait sembler une évidence, mais Yvain savait qu'elle ne l'était pas pour tout le monde. En ce qui le concernait, oui, c'en était vraiment une. Il ne savait pas grand-chose de l'amour avant de rencontrer Laudine, et de toute évidence, il avait très mal su gérer ces sentiments nouveaux et puissants. Peut-être que s'il avait fait certaines choses différemment, à l'époque, Laudine et lui auraient pu vivre leur amour sans toutes ces complications... mais la situation paraissait à présent inextricable.

Yvain était d'un naturel naïf, mais pas au point de croire que l'amour et l'amour seul, sans rien d'autre, pouvait triompher d'absolument tout. Malgré tout, cela faisait du bien d'entendre ce genre de discours. Il savait que s'il s'était confié avec ses parents, ils n'auraient même pas eu le même genre de réaction. Yvain sentait une forme de soulagement à avoir parlé à Morgause, et d'entendre sa réponse, qui était par de nombreux aspects rassurante.

« Je comprends ton trouble, mais si cette jeune femme, c’est qu’elle t’a pardonné, il faut donc que tu commences à te pardonner toi-même, et ensuite, tu pourras y voir plus clair. »

Se pardonner à lui-même ? Elle avait raison, ce serait sans doute nécessaire, mais c'était plus facile à dire qu'à faire. Comment se pardonner alors qu'il avait tout raté, sur toute la ligne. Yvain se sentait comme pris au piège, et il ne voyait vraiment pas de quelle manière s'y prendre pour s'extirper de ce même piège.

"Dit ainsi, cela semble si simple...", observa-t-il le regard baissé.

Et peut-être, en effet, que c'était plus simple que ça en avait l'air, peut-être qu'il se créait ses propres problèmes, qu'il mettait ses propres barrières, qu'il gâchait bêtement tout. Il ne saurait trop le dire, dans tous les cas. Mais si c'était simple, alors c'était lui qui était trop simple pour savoir comment faire. Yvain était intransigeant envers lui-même, jamais satisfait de lui. A force de voir ses parents exiger toujours plus de lui, il avait fini par faire preuve à son tour de la même exigence.

« Je m’en doute. Mais dis-toi que si tu tardes trop à prendre une décision, une autre personne pourra la prendre. Son père pourrait très bien décider de lui trouver un nouvel époux, et tu ne pourras t’opposer à cela. »

Morgause était la voix de la raison, elle l'avait toujours été. Elle était la seule à qui Yvain réussissait à véritablement se confier. Il faut dire que ses parents ne lui facilitaient pas la tâche dans tous les cas. Pour eux, s'épancher sur lui-même, c'était faire montre de faiblesse... Ils avaient contribué au caractère qui était le sien, mais à l'heure où ses sentiments le torturaient, il n'avait pas envie de se taire, trouver auprès de sa tante une oreille attentive était, par conséquent, un véritable soulagement.


Oui, Yvain écoutait Morgause, et oui, force lui était de reconnaître qu'elle avait entièrement raison. Elle ne lui apprenait rien en soi, car tout ce qu'elle lui disait, il se l'était déjà martelé mentalement, mais c'était des choses qu'il fallait qu'on lu verbalise pour qu'il ne fasse plus que constater mais agisse enfin, comme il était bien évidemment plus que temps qu'il le fasse. Chaque jour qui passait l'éloignait de Laudine, faisait qu'elle lui manquait un peu plus, et en effet, Edwin de Landuc pourrait bien décider de le couper dans son élan et de trouver un autre époux à sa fille.

"Vous avez raison", répondit Yvain. Ce qui était une pure certitude. Bien évidemment, qu'elle avait raison. Il ne fallait pas juste lui donner tort ou raison, il fallait agir, intervenir, et c'était là que se posait un autre problème. Il ne savait tout simplement pas quoi faire ni de quelle manière agir précisément, démuni face aux circonstances. "Seulement, il ne me suffit pas de la trouver, et de lui demander sa main. Vous avez parlé de son père... Cet homme me déteste. Jamais il ne m'accordera la main de sa fille."


Et Yvain ne se permettrait jamais de la preprenne la véritable mesure ndre de force. Il n'avait pas envie de peindre un tableau dramatique de sa situation, il allait donner le sentiment de se plaindre, de baisser les bras.... Ce qui était un peu le cas, c'est vrai. Mais il voulait que son interlocutrice prenne l'entière mesure de sa situation, et de tous les dilemmesqui l'assaillaient à l'heure actuelle.

« La lui as-tu seulement déjà demandée ? »

Oui, il l'avait fait la première fois, la toute première fois, et la réaction d'Edwin de Landuc avait été sans appel. Cette même réaction qui avait confirmé à Yvain sa décision de partir, non pas pour abandonner la femme qu'il aimait, mais pour revenir victorieux, digne, un parti honorable, au point que le père ne puisse que consentir à lui laisser épouser sa fille. Il avait voulu être le chevalier qui serait digne d'être son époux, et il avait échoué.

Il ne lui avait pas reposé la question depuis, mais Yvain savait pertinemment que rien n'avait changé, il savait que pour cet homme, il était et resterait l'opportun qui avait troublé son quotidien et celui de sa fille, qui avait amené la mort et le deuil au sein de leur famille. Il ne pouvait pas lui en vouloir, ses reproches étaient assez légitimes, ils avaient un fondement... Rectifier le tir semblait impossible.

Alors malheureusement, non, il ne se trouvait pas dans ce genre de circonstances où tout était affaire de malentendu, où il lui suffirait de venir trouver le père de Laudine, la bouche en coeur et le coeur repenti, pour lui demander la main de sa fille, et où tout se passerait bien... Yvain ne répondit pas à la question de sa tante. Pour lui faire comprendre la complexité de l'affaire, le plus simple semblait encore de répondre à la question qu'elle lui posa ensuite.

« Et pourquoi te déteste-il au juste ? »

"Ainsi que je vous l'ai dit, j'ai tué son gendre", répondit Yvain sans détour. "Ce qui a motivé mon geste lui importe peu, j'ai brisé le coeur de sa fille, et il me tient pour une homme déplorable, et un profiteur de la pire espèce." Il baissa les yeux. "En soi, je peux le comprendre."

Même si, à aucun moment, il n'avait agi avec malice. Il n'avait pas contrôlé ses sentiments pour Laudine, ils avaient tenu de l'évidence. Quant à Esclador le Roux, fallait-il qu'il regrette son geste ? Cela lui arrivait souvent, mais sans ce dernier, jamais Laudine n'aurait levé les yeux sur lui, ou bien il aurait fait d'elle une femme adultère, ce qui aurait été pire encore. Et il ne voulait pas non plus regretter d'avoir défendu l'honneur de Calogrenant à l'époque.

« Sa fille aimait donc son époux ? »

Pour tout dire, non. Ou du moins, Yvain ne le pensait pas. En toute honnêteté, il n'avait jamais osé poser la question très directement à Laudine. Peut-être parce qu'il avait eu peur de la réponse qu'elle lui donnerait. Il ne pensait pas qu'elle l'ait aimé. Par accès d'orgueil, il avait même envie de croire que leur amour était si unique, si différent, si puissant, que ni lui ni elle n'avait pu connaître quoi que ce soit de tel auparavant.

Non, il ne pensait pas que Laudine ait aimé Esclador, du moins pas de cette manière. En revanche, il voulait bien croire qu'elle ait eu de l'estime, peut-être même de la tendresse pour lui. Et il avait fauché cette estime et cette tendresse en plein vol.

Yvain ne répondit pas à cette question... parce qu'il ne savait pas vraiment que répondre en réalité. Lui-même peinait à analyser convenablement la situation. S'il y réussissait mieux, il commettrait sans doute moins de maladresses, ferait certainement beaucoup moins d'erreurs... Mais ce n'était pas gagné.

« Quand bien même, il n’a pas vraiment à s’en mêler, d’autant plus que de ce que tu me dis, elle t’aime aussi. Donc en te repoussant, il fait du mal à sa fille. »

Yvain le pensait aussi, et c'était une chose qu'il avait essayé d'expliquer à Edwin de Landuc, tout comme il était convaincu que Laudine également avait dû chercher à plaider sa cause auprès de son père, quitte à s'attirer ses foudres. Mais le seigneur de Landuc était un homme borné. La vérité, c'est qu'il ne supportait sans doute pas que sa fille lui échappe. Il devait être plus confortable pour lui de la marier à un homme dont il serait convaincu qu'elle ne l'aimerait jamais plus que lui-même.

En effet, Edwin de Landuc faisait du mal à sa fille, mais Yvain voulait bien parler qu'il pensait lui faire du bien, en vérité. C'était le problème, il était incapable d'entendre le moindre argument. Et ce n'était certainement pas Yvain qui allait réussi à le faire changer d'avis. Il fallait que le père estime l'opinion de l'homme qui tenterait de lui parler.

« C’est une boucle sans fin cette histoire, si les choses restent ainsi. »

"C'est malheureusement très bien résumé", admit Yvain. "Mais je ne sais pas quoi faire pour que les choses changent enfin. "Je voudrais prendre Laudine avec moi, la conduire ici, l'épouser sans l'aval de son père. Mais ce serait la rendre malheureuse."

« Je comprends ton désarroi, et j’en suis navré. »

Yvain afficha une fine esquisse de sourire. Il savait que Morgause était complètement sincère avec lui. Elle ne cherchait pas à le brosser dans le sens du poil, elle lui disait ce qu’elle pensait, et donc, si elle affichait sa compréhension, elle était totalement sincère.

Elle était vraiment navrée pour lui, et obtenir un minimum de compassion et d’écoute de la part d’une personne à qui il tenait vraiment, c’était vraiment important pour lui, et ça lui faisait du bien. On ne pouvait pas dire que c’était quelque chose qui lui arrivait très souvent, en même temps. Et ses problèmes de confiance en lui venaient beaucoup de ça.

« Néanmoins, j’ai confiance en toi, et à ta capacité de prouver ta valeur. Si faire changer son père d’avis à ton sujet semble impossible, pourquoi ne tenterais-tu pas de forcer les choses ? En organisant une situation où tu lui sauverais la vie, ou celle de sa fille, je ne sais pas, qu’il puisse se rendre compte que tu as le cœur noble et pur, et que tu es un homme bien. »

Yvain observa sa tante avec une lueur de surprise dans le regard, un peu décontenancé, à vrai dire, par sa suggestion. Manipuler le beau-père dans l’espoir qu’il accepte de lui confier la main de sa fille ? C’était quelque chose de profondément malhonnête, même si c’était en même temps une manigance des plus intelligente.

Il ne savait pas quoi en penser. Il n’était pas sûr de vouloir en arriver là, ou d’obliger Laudine à mentir à son père. Ou encore leur mentir à tous les deux. Lui qui détestait profondément les secrets, comment pourrait-il vivre avec lui-même en ayant fondé toute son histoire sur un mensonge ?

Mais s’il ne tentait rien, il allait perdre, tout perdre. Il était prêt à tout pour Laudine. Pouvait-il le prétendre et en même temps ne pas agir quand il devait être question de mettre en place une action concrète ? Il se sentait perdu. Ne pourrait-il pas exister une situation qui ferait de lui, naturellement, un homme digne de son épouse ? Il commençait à en douter très sérieusement.

« Je ne sais vraiment pas… », répondit Yvain, sans rejeter complètement la proposition de Morgause malgré tout. « Si je fais le choix de mentir à cet homme et de le manipuler, pourrais-je encore prétendre avoir le cœur noble ? Serais-je encore quelqu’un de bien ? Laudine mérite mieux qu’un menteur. »

« Avoir le cœur noble est une chose, mais comprends bien que si tu restes à attendre, tu finiras le cœur brisé. »

Il avait déjà le coeur brisé, en vérité. Chaque seconde qu'il passait loin de Laudine lui en arrachait un nouveau morceau. Et il trouvait complètement insupportable de passer du temps loin d'elle... Surtout s'il songeait que sa souffrance à elle était identique. Il ne savait vraiment pas quoi faire... L'idée de Morgause était bonne, mais elle était effrayante, aussi. Il avait peur d'aller trop loin et d'atteindre un point de non-retour qui le priverait à tout jamais de celle qu'il aimait. Et en même temps, s'il ne faisait rien, eh bien... Le point de non-retour était peut-être maintenant, déjà.

Il fallait qu'il y pense, qu'il prenne le temps d'y réfléchir posément, même s'il ne savait pas vraiment si la moindre réflexion posée suffirait réellement à lui faire reconsidérer sa situation et la manière de l'aborder. Pour le moment, il était encore trop bouleversé pour mettre au point un plan qui puisse vraiment le satisfaire. Il fallait vraiment qu'il prenne une grande inspiration, y repense le plus posément possible.

« Je pourrai tenter de lui parler, pour plaider ta cause, mais nous ne nous connaissons pas, alors je ne suis pas sûre que ce soit très utile… que pensent tes parents de tout cela, tu leur en as parlé ? »

Yvain appréciait sincèrement que sa tante soit à ce point touché par ce qu'il lui apprenait, mais il ne voulait pas la mêler à tout cela. Par ailleurs, il ne pensait pas que qui que ce soit saurait intercéder en sa faveur. Il était le neveu du roi, et cela n'impressionnait pas pour autant Edwin de Landuc. Alors, par conséquent, il ne pensait pas qu'aucun membre de son illustre famille serait capable de faire quoi que ce soit. Quant à son père, eh bien... Il hocha la tête à la question de son interlocutrice. Contre toute attente. Parce que les circonstances l'y avaient poussé.

"Ma mère ne saurait pas s'en moquer davantage, sans surprise. Quant à mon père, il ne m'aidera pas, c'est à moi et à moi seul de résoudre cette situation. Mais je ne suis pas sûr d'avoir les épaules. Je n'ai pas la moindre idée de comment agir, et ça me rend fou." Il marqua une pause. "Je vous remercie de vouloir m'aider. Mais c'est une chose que je dois faire seul."

« Je suis certaine que tu y arriveras. J’ai foi en toi. »

Yvain adressa à sa tante un sourire sincère. Ces mots pourraient peut-être sonner creux s'ils venaient de quelqu'un d'autre, ou s'ils étaient adressés à n'importe qui d'autre. Mais Yvain reconnaissait leur sincérité et il savait appréciait cette même sincérité à sa plus juste valeur.

Quoi de plus normal quand c'étaient des mots auxquels on vous avait si peu habitué ? Ils perdaient sans doute leur valeur quand on les entendait trop, mais il était finalement rare que qui que ce soit ne lui assure avoir foi en lui. Cela arrivait bel et bien au roi, et son opinion importait vraiment, mais ces paroles perdaient en sens quand ses missions pour Arthur pouvaient si souvent oublier de porter leurs fruits.

Et c'était de ses parents, surtout, qu'il aurait besoin d'entendre ce gage sincère d'estime et de confiance. Mais il fallait qu'il en fasse toujours plus pour obtenir cette récompense, et une fois qu'il en avait fait plus, on en exigeait de lui encore davantage. C'était un cercle vicieux, et qui n'avait pas de fin... Il fallait s'échapper du cercle, faire ses preuves pour soi et non pour les autres, et il n'y avait rien de plus difficile. Malgré tout, Yvain avait confiance.

Il avait confiance parce que Morgause croyait honnêtement en lui. Il avait confiance parce qu'il le fallait, parce que le jeu en valait la chandelle. Il en allait de l'avenir qu'il saurait peut-être construire auprès de la belle Laudine, et c'était trop important pour lui pour qu'il ne veuille pas y croire de toute ses forces. Il était capable de se dépêtrer des plus terribles situations. Il avait beau se dévaloriser, plusieurs de ses faits d'arme n'auraient pas été à la portée du premier venu. Il fallait qu'il daigne le constater et le reconnaître, avec peut-être même cette pointe d'orgueil qu'il se refusait trop souvent de ressentir, comme s'il s'agissait d'une tare.

"Merci, c'est des mots que j'ai besoin d'entendre", admit-il avec un fin sourire.

Et puisqu'il devait agir seul et se prouver seul ses compétences, la route serait solitaire, mais la récompense parviendrait peut-être à combler ce vide qui grandissait en lui et menaçait de le précipiter au plus loin de ce qu'il se sentait capable d'endurer.

"Je vais devoir vous laisser, j'ai encore fort à faire. Encore merci de votre écoute et de votre soutien. Vous n'imaginez pas combien ils sont inestimables pour moi."